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Brepols Prize awarded to Anh Thy Nguyen

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During the virtual General Assembly of the UAI on November 17, 2021, the Brepols Prize was awarded to Anh Thy Nguyen (F.R.S-FNRS – Université catholique de Louvain) for her project "Vers une édition critique numérique de la Fleur des histoires de Jean Mansel". The prize was presented to the laureate by our President, Klaus Herbers, during the UAI Board meeting in Paris on February 25, 2022.

Project

Considérée comme une forme de duplicité non originale, la compilation a été pendant des siècles affublée d’une connotation péjorative. Cette vision dépréciative à l’endroit de la compilation définit les schèmes fondamentaux de notre culture ainsi que notre manière d’appréhender les objets artistiques du passé. L’objectif principal de notre thèse de doctorat a consisté à renouveler le prisme traditionnel d’analyse de la compilation médiévale au profit d’une définition neutralisée visant à resituer le geste compilatoire dans son historicité, sa textualité et sa matérialité.

Étant donné l’envergure et l’ampleur que prenait un tel travail de définition du geste compilatoire dans les textes français de la fin du Moyen Âge, il importait de nous limiter à l’étude d’un corpus à la fois illustratif et caractéristique de ce geste. Notre choix s’est porté sur la Fleur des histoires de Jean Mansel, un texte représentatif d’un genre – l’historiographie – et d’un milieu littéraire – la cour de Bourgogne au XVe siècle – au sein desquels la compilation a été particulièrement mise en oeuvre. Cette compilation d’histoire universelle est produite au XVe siècle à la cour du duc de Bourgogne Philippe le Bon, par Jean Mansel, un officier de l’administration ducale qui exerça la charge de receveur général de la ville et châtellenie d’Hesdin. Elle s’étend de la création du monde jusqu’au règne du roi Charles VI, et repose sur de nombreuses et multiples sources bibliques, doctrinaires, théologiques, hagiographiques, encyclopédiques et historiographiques. Rédigée en prose, elle est conservée dans près de 80 témoins manuscrits et présente la particularité d’être attestée sous deux rédactions : une première, en trois livres, rédigée entre 1456-1460, et une seconde, en quatre livres, entre 1462-1474.

L’étude de ce corpus a permis de circonscrire les conditions et contours de la production du geste compilatoire, de définir ses principes et procédés de composition et d’appréhender les modalités de lecture et méandres du succès d’une compilation historique du XVe siècle. Les trois volets de notre thèse de doctorat, articulés autour d’une analyse du contexte, du texte et du codex de la Fleur des histoires de Jean Mansel, participent ainsi à une définition des motivations, des modalités, des manifestations et des finalités du geste compilatoire à la fin du Moyen Âge.

Si, par ses propriétés à la fois contextuelles, textuelles et matérielles, la Fleur des histoires de Jean Mansel s’est révélée être un cas d’étude privilégié pour appréhender le geste compilatoire à la fin du Moyen Âge, le caractère inédit du texte a constitué l’une des difficultés voire l’une des limites de notre thèse de doctorat. En effet, la compilation de Jean Mansel n’a été jusqu’ici que très peu explorée. S’il faut regretter le peu d’attention que la critique d’hier et d’aujourd’hui lui a témoigné, il faut surtout déplorer l’absence d’une édition critique intégrale du texte. Plusieurs raisons peuvent en être alléguées : principalement le statut de l’oeuvre, réduite à une « vaste et indigeste compilation », la dimension imposante du texte (le texte complet couvre entre 1000 et 1500 feuillets, selon que l’on soit en présence de la rédaction brève ou longue), la complexité de sa tradition manuscrite et le nombre élevé de copies conservées (près de 80 témoins manuscrits) représentent autant de facteurs qui expliquent ce désintérêt de la part de la critique.

Le présent projet vise précisément à pallier cette lacune éditoriale, en posant les premiers fondements d’une édition critique numérique de la Fleur des histoires de Jean Mansel. Il consistera à proposer des hypothèses de travail préliminaires à une édition critique du texte et à attirer l’attention des chercheurs sur l’intérêt philologique que représente le cas de la Fleur des histoires, ainsi que sur l’apport de ce texte – largement diffusé à la fin du Moyen Âge – quant à la production, la diffusion et la réception du savoir historique médiéval.

Au vu des caractéristiques textuelles, philologiques et codicologiques de la Fleur des histoires, ce projet d’édition accordera une attention spécifique aux textes-sources de cette compilation (notamment au travers d’une édition hypertextuelle), aux rapports entretenus entre les deux rédactions de l’oeuvre (en offrant la possibilité d’une analyse comparative entre les deux), ainsi qu’à la mise en page et à l’iconographie des manuscrits. Une édition numérique de ce texte constitue la solution à la fois la plus pertinente scientifiquement et la plus économique à envisager : elle faciliterait la visualisation des données textuelles et iconographiques pour le lecteur, ainsi que la navigation entre les différents niveaux de l’apparat critique. Cette approche dynamique et conjointe du texte et de l’image permettra ainsi de saisir la singularité textuelle et artistique de chaque témoin au sein du vaste corpus des manuscrits de la Fleur des histoires.

Ce projet d’envergure s’appuiera sur des assises solides qui reposent, d’une part, sur les quelques rares – mais importantes – études philologiques menées par des chercheurs qui nous ont précédée, et d’autre part, sur les hypothèses de travail et résultats tirés de notre thèse de doctorat. À cet égard, nos recherches ont permis de proposer une cartographie actualisée de la recension des manuscrits de la Fleur des histoires, mettant au jour des témoins inédits, soit non repérés par la critique ou confondus jusqu’alors avec d’autres textes. En outre, dans le cadre de notre thèse, nous avons expérimenté une nouvelle approche philologique par le paratexte, qui a donné lieu à des résultats probants : celle-ci a permis de procéder à un premier classement des manuscrits et, à l’échelle des sondages opérés sur le texte, de valider l’hypothèse d’une tradition textuelle propre à chaque livre.

Par ailleurs, plus largement, ce projet d’édition numérique pourra tirer parti des dernières avancées de la philologie numérique, mais aussi des différents séminaires tenus à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) au cours de ces dernières années (notamment Textes anciens et humanités numériques, Édition savante et humanités numériques, Digital Humanities). Il s’inscrira plus largement dans le mouvement, en plein essor, des « Humanités numériques ».

Enfin, outre l’innovation scientifique de ce projet d’édition, ce dernier contribuera également à consolider, ouvrir et générer de nombreuses collaborations internationales. Il permettra notamment d’alimenter la base de données Jonas, qui constitue un répertoire des textes et des manuscrits médiévaux d’oc et d’oïl, porté par l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes (IRHT), avec lequel nous entretenons des échanges réguliers avec ses membres issus de la section romane et codicologique. Plus largement, s’il faut se réjouir d’un regain d'intérêt pour l'édition des textes historiographiques de la fin du Moyen Âge, comme l’atteste la future création de la plateforme Chroniques rimées (dont l’initiative et la gestion relève d’une collaboration interuniversitaire [Lausanne, Grenoble et Paris]), son pendant, représenté par la production historiographique en prose, mériterait la même attention. À ce titre, il faut mentionner l’existence de la plateforme H(istoires) U(niverselles) 15, initiée depuis 2014 et dirigée par Anne Salomon (University of British Columbia), consacrée précisément à l’étude des histoires universelles composées en français au XVe siècle et à leurs manuscrits. Parmi le corpus de textes retenus, figure la Fleur des histoires de Jean Mansel, dont les recherches menées jusqu’ici se limitent à la recension des manuscrits du texte. Notre projet de recherche insufflera dès lors un nouvel élan à cette plateforme en l’alimentant des nouvelles données récoltées.

Outre ces collaborations internationales, ce projet d’édition numérique de la Fleur des histoires de Jean Mansel s’inscrit, à l’échelle nationale, dans une actualité plus que vive, à savoir l’ouverture du Musée de la Librairie des ducs de Bourgogne depuis le mois de septembre 2020. Parmi les trésors de la KBR museum, se trouvent quelques volumineux et luxueux exemplaires de la Fleur des histoires de Jean Mansel. Dans ce contexte, ce projet d’édition pourra directement bénéficier de la visibilité et de l’actualité de ce Musée, en même temps que les résultats des premières recherches menées éclaireront d’un jour nouveau l’une des merveilles de la collection des livres des ducs de Bourgogne.

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